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Betdenrire

WC story

9 Janvier 2010, 19:25pm

Publié par Philippe Lepers

                                            WC Story

 

 

 

Pendant les manifs de 68 une blague d’un goût plus que douteux nous amusait au plus haut point sur le boulevard Haussmann, dans un grand magasin dont, par pitié, je tairai le nom.

Ce quartier, relativement épargné par les manifestations étudiantes qui se déroulaient plutôt dans le 5eme arrondissement, recevait encore son flot de touristes et de badauds qui comme chacun sait, recherchent un moment ou un autre, un lieu d’aisance pour épancher un besoin bien naturel mais souvent pressant.

Les sanisettes n’ayant pas encore été inventées et les vespasiennes définitivement disparues, il ne restait plus au quidam qu’à pénétrer dans un café sous les yeux suiveurs et inquisiteurs du patron en espérant qu’il ne lui impose pas une consommation au retour du sous-sol.

Mais il y avait un lieu magique; les grands magasins.

Et oui. Certains possédaient des toilettes pour les deux sexes bien proprets avec dame Pipi à l’entrée. La sébile pleine de petites pièces jaunes et éventuellement d’un ou deux boutons de braguette était posée sur la petite table en formica où cette dame, Pénélope des temps modernes, tricotait inlassablement un pull pour l’hiver. Elle hochait la tête comme un métronome au bruit de la monnaie trébuchante et sonnante, le regard rivé sur son ouvrage. Seule une légère élévation du sourcil trahissait sa lassitude devant la radinerie chronique de ses concitoyens.

Mais parfois la madone s’absentait. Respirer l’air du large, qui sait ?

Là il fallait faire très vite.

S’assurer en premier lieu que plusieurs cabines d’aisance soient occupées pour une affaire où le papier n’est pas encore en main. Ensuite poser l’index en travers de la bouche pour rendre complice les utilisateurs des urinoirs et lavabos présents et, à ce moment, d’une voix forte et tonitruante, en tapant fortement sur chaque porte, gueuler à tue-tête :

- Police ! Patrouille des mœurs ! Tout le monde dehors !

Allez, vous finirez plus tard ! –

C’est fou ce qu’un dévidoir de papier-cul peut aller vite quand on est pressé. De l’extérieur on dirait le bruit des rotatives du figaro un jour d’article à sensation. Une cabine d’essayage occupée montée sur ressorts ne ferait pas mieux.

Quelques instants plus tard des têtes d'ahuris apparaissent aux embrasures. Certain patients ont la main sur la ceinture pas encore bouclée, d’autres avec le pan de chemise à moitié sorti du pantalon, d’autres encore les chaussures à la main.

Leurs regards se portent sur nous, sérieux comme des moines bénédictins. N’apercevant aucun policier l’un d’eux s’en inquiète et d’un air interrogateur nous demande une  explication. Nous leur répondons alors que les policiers viennent juste de ressortir. Peut-être sont-ils chez les dames ?

- Vous devriez attendre un instant qu’ils reviennent. Ils n’ont pas l’air commodes ! –

Sur ce, on les quitte en leur souhaitant une bonne continuation.

Il est intéressant de rester un moment à l’extérieur jusqu’au moment du retour de la dame Pipi qui tel un Cerbère, n’hésite pas à pénétrer dans son antre d’un air suspicieux sûre que pendant son absence, la propreté des lieux à été outragée. Tombant sur les lascars dépenaillés le dialogue de sourds est assuré !

Il est à noter que notre farce n’était que broutille en regard du comportement d’Eugène Vivier dans ce genre de lieux. Il y tirait carrément au revolver !

( Un des plus grands farceurs de son temps. 1817-1900. Il le passait à jouer en virtuose du Cor d’harmonie dans les plus grandes capitales du monde et à mystifier son prochain.)

 

 

                                 Gazer le Crillon

 

A cette époque, pénétrer à 19 ans dans un palace tel le Crillon était chose facile à condition d’avoir une tenue impeccable, le cheveu parfaitement taillé et la mine assurée du  jeune dandy ou éventuellement du jeune gigolo en chasse de veuves fortunées clientes des lieux.

Un attaché-case au flanc et le tour était joué.

Repérer dans le grand hall le sigle des toilettes du  rez-de-chaussée et d’un pas assuré s’y diriger. J’ai mis au point ce système trois ans auparavant mais il peut toujours être amélioré.

Une fois dans l’isoloir, si le modèle correspond, ici, du Jacob Delafont, toujours une grande marque, dévisser le bouton de la tirette centrale, soulever le couvercle du réservoir, vérifier la course de la tige, en déduire le point d’attache et y coller à l’aide d’un ruban adhésif une boule puante. Remonter le mécanisme.

Pour doubler la probabilité de réussite faire de même dans le retour du chambranle, en haut, côté porte, à l’opposé des paumelles. Utiliser du ruban transparent ou  couleur des lieux pour rendre le dispositif le plus discret possible. D’où l’utilité de l’attaché-case bien garni. Repousser la porte sans la refermer. Si votre victime n’est pas gazée à la fermeture de la porte, elle le sera assurément en tirant la chasse d’eau en conservant toujours le doute sur l’origine de l’odeur et surtout à se poser la question existentielle : Qu’est-ce que j’ai bien pu bouffer pour dauber à ce point ! Ensuite, aller se reposer sur un fauteuil club du salon bar.

Attendre que l’appât morde et se délecter du ballet fiévreux de l’équipe d’entretien. C’est vraiment là que l’on peut apprécier la classe d’un palace !

J’ai réussi ainsi, l’année précédente, sans me faire prendre, à piéger les WC des profs du Lycée technique de Cachan. Le dispositif de tirette n’étant pas approprié, j’avais démonté le couvercle de l’interrupteur des lieux, type Plexo de chez Legrand, et réussi à bloquer la boule derrière la bascule. Imparable et indétectable. Heureusement pour moi. Le dirlo m’avait à l’œil depuis trois ans et voulait ma peau !

Il faut dire que pour la rentré scolaire en Septembre1967, un copain m’avait refilé les sous-tifs de sa sœur que je n’avais pas hésité un instant à découper pour habiller une statue de nue style Alberto Giacometti qui trônait dans la cour.

Obligé de me dénoncer pour passer à la postérité, le premier conseil de discipline de l’année scolaire fut pour ma pomme. Je n’avais rien fait de bien méchant mais avant 68 la discipline au bahut était quasi militaire et ne tolérait aucune fantaisie fusse-t-elle vestimentaire. Avec les copains, qui m’avaient aidé pour la haute couture, la poitrine en partant du pied du socle était à 3 mètres, nous nous imaginions en mousquetaires du roi face au cardinal et ses sbires. J’ai nommé le surveillant général et ses pions. Dieu sait ce que l’on a pu leur en faire voir pendant les 12 mois suivants.

 

 

 

                             En grandes pompes

 

Août 1966

L’année précédente, mes parents et un de leur amis, accompagné de sa vieille mère, décident de faire un petit tour hors de l’hexagone en passant successivement par l’Allemagne, l’Autriche et l’Italie avec retour en France par l’Ardèche.

Au niveau bagnoles, c’est super. Mes parents occupant leur Citroên ID break avec la mamie à l’arrière, j’ai le plaisir d’être le passager exclusif de la belle Ford Mustang bleu métallisé. Le copain, raffolant de bolides automobiles, venait de faire l’acquisition de ce splendide cheval de course qu’il comptait bien domestiquer au cours des vacances au plus grand bonheur des pompistes et des marchands de pneus !

L’engin, dont le cœur était un énorme V8  189 ci de 225 CV avec carburateur 4 corps, ne se contentait pas du 12 litres au cent de la Citroën mais du double et encore, en roulant à la même allure de croisière !

La limitation de vitesse n’existait pas à l’époque et mon chauffeur trépignait d’impatience derrière la voiture de mes parents qui roulait à un train de sénateur aux environs de 120 km/h.

A un de ces nombreux arrêts à la pompe, ayant emporté des talkies-walkies pour ne pas être séparé par la circulation, on décide de faire un suivi en accordéon. On fait une pointe de vitesse, on s’arrête, on attend que l’autre voiture nous double et ainsi de suite. Alors là, c’est vraiment devenu le pied ! Démarrage sur les chapeaux de roues avec traces de gomme sur 30 m, virages à fond la caisse, pointe en ligne droite frisant les 200 km/h ! Enfin tout ce que la morale actuelle et l’écologie réprouvent au plus haut point.

Avec un arrêt ‘fête du pinard’ à Colmar, vive le petit vin blanc, nous nous retrouvons assez rapidement en Bavière, à Munich précisément. Là, pas un seul hôtel de libre. Enfin si, il y en avait un, mais un palace ! Le copain aisé pouvait se le permettre, mes parents un peu moins, mais bon, un 4 étoiles une fois dans sa vie c’est toujours une expérience enrichissante n’est ce pas ? Une fois installés dans notre palais donnant sur la Karlsplatz, nous décidons de passer la soirée à la Haufbrau, la célèbre brasserie munichoise. La soirée Choucroute bière terminée, nous arrivons à notre hôtel passablement guillerets. Une fois arrivés à l’étage de nos chambres, nous constatons que de nombreuses paires de chaussures attendent paisiblement sur les paillassons que leurs propriétaires les récupèrent au petit matin bien cirés.

Le couloir en est plein. Mes parents refusent la prestation et rentrent dans leur chambre avec leur souliers pour terminer la nuit dans le calme et la sérénité qui convient à tout dormeur en villégiature 4 étoiles.

Nous, pas du tout atteints par les avances de Morphée, décidons de mettre en symbiose la rigueur germanique avec le bordel français. Pari réussi. En moins de 5 minutes, sans être le moins du monde dérangés, une cinquantaine de paires de pompes furent échangées entre les différents étages mais pas par paires, c’eût été trop facile. Non, on les mélangeait consciencieusement. Ce bel escarpin noir de jais se retrouvait en couple impensable avec une Richelieu alors que la pauvre Derby liée à l’escarpin se voyait confrontée à un trotteur du plus beau violet. Tout n’était que mélange à la Prévert et, après avoir dévissé au couteau suisse un numéro de chambre à proximité de la lingerie et inversé les plaques, nous décidâmes de rejoindre nos chambres, satisfaits d’avoir contribué à un mélange ethnique du plus bel effet.

Le lendemain, à une heure bien trop matinale à notre goût, nous qui avons travaillé si tard dans la nuit au rapprochement entre les peuples, un concert de braillements en majorité gutturaux, ( c’est vrai que les allemands en colère sont gutturaux), embrase le couloir.

Une émeute, que dis-je une révolution se déroule là, juste derrière ma porte. Je m’étonne de tout ce tintamarre. J’avais complètement  zappé notre expédition de la nuit et l’impression de papier mâché dans la bouche et un mal de crâne carabiné n’y sont pas étrangers. Je me dépêche de passer des fringues et d’ouvrir la porte.

Le couloir est noir de monde. Ce n’est que reproches, vociférations et injures dans des langues aussi diverses que l’italien, l’allemand, l’anglais, le belge, ( 2 fois, le wallon et le flamand) et le français. Le groom d’étage et deux femmes de ménage se font engueuler copieusement au sujet des pompes capricieuses et fantasques qui n’ont pas pris la tangente toutes seules !

Une fois dans la salle du petit déjeuner, on explique à mes parents entre le café et les croissants notre blague de potache de la nuit et les réactions démesurées des clients. Mon père nous fait remarquer à juste titre que si on avait fait ça en France, ce n’est pas à des injures que les pauvres innocents auraient été confrontés mais bel et bien à de grandes baffes dans la gueule et autres pieds au cul !

A ce moment le maître d’hôtel arrive à notre tablée et dans un français impeccable commence par s’excuser de tout les tracas provoqués par une mauvaise blague nocturne indigne des lieux et de la notoriété de l’établissement. Puis il nous prévient que si nous avons un souci pour retrouver nos chaussures, il les a toutes fait exposer en rang d’oignon dans le hall.

En effet, au pied du bureau d’accueil une bonne vingtaine de paires attendaient sagement la venue de leurs propriétaires encore en grasse matinée.

Au moment de partir, un besoin urgent m’isola le temps nécessaire à piéger la chasse d’eau tetonne d’une magnifique boule puante made in France.
Nous n’avons pas attendu la réactions du prochain utilisateur encore moins de nos hôtes ni chercher à savoir si l’inversion des numéros de chambre et de la lingerie avait causé quelques tracas. l’Autriche nous tendait les bras !

 

Suite au prochain numéro.

 

 

 

 

 farces-et-mystifications-05-wc-story-mini

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