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Betdenrire

Compartiment ripailleur

13 Septembre 2013, 15:25pm

Publié par Philippe Lepers

Les années d’avant guerre, celles que l’on considérait folles et insouciantes, avaient vu, sans déplaisir, s’étendre la toile ferroviaire jusque dans les moindres recoins du territoire. Il était coutumier d’apercevoir sur les quais de gares, surtout sur les lignes secondaires, des paysans venus de leur campagne, proposer aux voyageurs affamés, en attente du départ, moult produits du terroir dont la saveur et l’authenticité étaient à mille lieux de l’insipide jambon beurre actuel.

C’était un moyen comme un autre de se faire un peu d’argent avec de plus, aidé par le temps évidemment compté et la précipitation ambiante avant le départ, la possibilité de monnayer à la hausse les produits qui, à la foire voisine, étaient limités par la concurrence et l’esprit critique du badaud.

Mon père, qui vécu cette époque, a détaillé cette ambiance si particulière et chaleureuse dans ses mémoires de jeunesse dont je reprends certains passages dans le bouquin « Les CIP » actuellement en préparation.

Petite chronique ferroviaire suivie d’un dessin à haute valeur gustative:

Trains du sud

Dans les années 20, quand nous allions à Pommier, nous prenions le train à la Gare d'Orsay qui était alors tête de ligne. Dans cette gare nous étions sûrs d'avoir les places que nous voulions. Moi, je voulais une place à coté de la fenêtre, ma mère, elle, voulait être assise dans le sens de la marche du train, et mon père, lui, voulait un compartiment fumeur. Ma sœur, elle n'avait pas d'exigence particulière.

Donc, bien installé dans mon coin, je regardais défiler les poteaux télégraphiques. La nappe des fils ressemblait à une portée de musique qui jouait aux montagnes russes. De temps en temps mes yeux s'ouvraient plus grand, quand nous traversions une grande gare, où il y avait beaucoup de voies. Je regrettais que le train roule si vite car je n'avais pas le temps de tout voir.

Je me régalais, quand les bogies passaient sur les appareils de voie. Il y avait alors un bruit, je dirais moi, plutôt, une mélodie qui m'enivrait et me faisait rêver tout éveillé.

J'imaginais la même scène vue de la cabine du mécanicien, voyant la voie disparaître sous le train.

Un autre moment passionnant, c'était quand le train quittait la machine électrique, le plus souvent une 2D2-500, ces monstres à seize roues qui l'avait amené depuis Paris, pour retrouver une machine à vapeur, en général une pacifie PO série 5000. Cet échange avait lieu a Vierzon et une ou deux années plus tard à Châteauroux. A partir de ce moment ma mère exigeait la fermeture de la baie à cause des escarbilles. Je me rendais alors dans le couloir où je pouvais ouvrir la vitre, me rincer l’œil avec des escarbilles et me régaler les narines avec la bonne odeur de vapeur et d'huile chaude de la machine, le mouchoir à la main pour essuyer mes yeux. Cela me mettait en appétit. C'était alors le moment du casse-croûte. Toutes les victuailles étaient étalées sur les genoux de ma mère qui préparait les tartines. En général, dès qu'un voyageur commençait à sortir son saucisson, les autres ne tardaient pas à en faire autant. Ce qu'ils étaient bons les casse-croûtes dégustés à 100 kilomètres à l'heure dans ces compartiments intimes de huit places où les conversations ne commençaient vraiment qu’à partir de ce moment propice aux entrées en matière.

« Vous n'auriez pas un tire-bouchon, j'ai oublié le mien » « C'est bête j’ai oublié le sel, cela ne vous dérange pas ? » etc.

Dés le dessert, des fruits en général, ce dernier salon où l’on cause était ouvert, et on parlait de tout et de rien et cela faisait passer le temps,

« Tiens! Nous sommes déjà à Limoges ? »

« Limoges, dix minutes d’arrêt, buffet, journaux… » annonçait un haut-parleur nasillard dont on devinait les paroles plus qu'on ne les comprenait. On descendait alors se dégourdir les jambes sur le quai mais moi, c'était vers la machine que je me dirigeais, car il y avait la prise d'eau et ce spectacle valait le dérangement. Ma mère ne vivait pas pendant ce temps-là, elle avait peur que le train reparte sans moi, mais j'étais avec mon père qui lui en profitait pour fumer une cigarette.

Quand j'avais la chance d'être dans la voiture de tête, et c'était rare car ma mère ne voulait être placée que dans l’un des wagons du milieu du convoi, je pouvais assister à cette cérémonie de la portière, même de mon compartiment. Ma mère, en effet, sur les conseils de son père, voulait toujours se trouver au centre du train et au centre du wagon car, d'après le père Conche, en cas d'accident c'était la place la moins dangereuse. (1)

(I) Avant la guerre de 14, quand il était convoyeur des PTT après sa retraite de gendarme, il était dans le train qui avait pris feu dans le tunnel de Montplaisir. Il en était sorti indemne, alors qu'il y eut de très nombreuses victimes, les caisses en bois, hautement inflammables des voitures, ne laissant guère de salut à tous ces malheureux.

Compartiment ripailleur
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