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Betdenrire

homme-sandwich

27 Février 2010, 18:05pm

Publié par Philippe Lepers

Quand j’étais gosse, la « réclame » s’affichait souvent peinte sur les murs des immeubles. Un slogan genre: « Du beau, du bon, Dubonnet » pouvait rester là de nombreuses années. Cela faisait partie du paysage.

Il fallait un échafaudage et un peintre en lettres pour réaliser ses fresques maintenant disparues. Inutile de préciser le coût d’une telle intervention par rapport à une affiche collée.

Un jeudi, les copains et moi, étions en admiration devant un peintre qui en haut de son échelle, terminait une fresque publicitaire « Marie Brizard »

L’échafaudage avait été retiré la veille et l’homme de l’art s’appliquait à retoucher quelques manques que les montants avaient occultés.

Un manche fixé au dernier échelon, en travers de l’échelle,  permettait d’accrocher plusieurs pots de peinture, facilitant le travail de l’artiste.

Le bas reposait sur le caniveau, entre deux voitures en stationnement. Sur le trottoir d’en face, au milieu de quelques badauds, nous suivions les gestes du Michel Ange des digestifs. Mon chien commençait à s’impatienter sérieusement et tirait sur sa laisse à s’étrangler.

Le passage du Paroi à cet endroit était très étroit, peu fréquenté par les autos mais très utilisé par les piétons.

Par superstition ou simple bon sens, les gens évitaient de passer sous l’échelle et la contournaient prudemment par la chaussée.

Las de tirer en permanence sur la laisse, je finis par lâcher mon chien qui aussitôt file se soulager au pied du mur.

C’est à ce moment précis qu’un chat qui  était planqué sous un véhicule décide de vivre sa vie et de sortir de son repaire. Mal lui en prend. Mon caniche faisait une fixette sur les minets depuis un coup de griffe sur la truffe quand il était chiot.

La course poursuite à peine commencée, le matou choisit l’échelle comme issue de secours. Il s’arrête aussitôt à quelques échelons, et se retourne en narguant son poursuivant.

Pas de chance pour lui mon chien était un vrai chien de cirque. Très adroit, il adorait monter à l’échelle. C’est mon père qui l’avait entraîné sur les chantiers. On l’envoyait également chercher le journal tout seul  chez le libraire d’où il en revenait, canard roulé dans la gueule, fier comme un pape.

Le chat voyant que son abri n’est plus aussi sûr, panique et grimpe tout droit, suivi mais plus lentement, par le chien qui en est déjà au troisième barreau.

Le peintre ressentant qu’il se passe des choses pas catholiques à ses pieds, se retourne brusquement. Apercevant le chat  qui saute toute griffe dehors sur ses  pantalons, il lui balance un coup de pied  qui  déséquilibre le fragile édifice et décroche manche et pots de peinture

qui suivent à la lettre les lois de la gravité. Eclaboussures de toutes les couleurs sur les voitures et le trottoir. Une petite mémé qui s’était approchée d’un peu trop prés, se retrouve couverte de bleu cobalt. Mon chien essaye de sauter le mieux qu’il peut de son perchoir sous mes hurlements répétés avec de magnifiques taches blanches sur fond noir. Quant au peintre, il essaie désespérément de rétablir l’équilibre de son échelle qui a ripé et est maintenant au raz du pignon. Le chat s’est accroché à son dos les griffes plantées dans son bleu qui d’ailleurs devait être blanc avant l’incident.

Le type ne sait plus comment se sortir de la situation.

Soit il s’ébroue pour faire lâcher prise au mistigri et l’échelle se renverse, soit il redescend calmement avec son sac à dos improvisé qui lui laboure le dos. Il choisit la seconde solution sous les bravos des badauds qui n’avaient pas manqué de s’attrouper autour de la scène en espérant une fin plus marrante. Qu’il se casse la gueule quoi !

Sentant que notre responsabilité risquait d’être engagée, nous filons mon chien et moi, suivis des copains vers notre barre HLM.

J’ai aussitôt ôté les taches sur mon caniche avec du white-spirit suivi d’un bon shampoing, douche et  sèche-cheveux.

Quand les parents rentrent je me garde bien de relater notre aventure.

Pendant le repas mon père nous raconte en se marrant qu’il a rencontré son copain Labadince chez Bertelot. Il parait qu’il était furax. Un chat et un chien avaient bien failli le faire se casser la gueule cet après-midi qu’il a en partie passé à nettoyer des carrosseries et rembourser une mamie blues. S’il retrouve les sales gosses et leur clebs çà allait chauffer pour leurs matricules !

« Il y a vraiment des petits cons » constata amusé le paternel en caressant le chien au poil étonnement doux et soyeux.

Mais la publicité d’autrefois ne se contentait pas seulement d’habiller les façades de briques des banlieues ouvrières, les quartiers chics de la capitale avaient d’autres ressources plus dynamiques tel que les  bus, le métro, les colonnes Maurice  et…les hommes-sandwichs. Dans Paris, il y en avait beaucoup sur les grands boulevards et toutes les zones commerciales.

Avenue de la porte d’Orléans dans le 14eme, ils étaient foison. Les pancartes des uns vantaient tel restaurant, pour tel autre un magasin de chaussures ou de lingeries. Les commerçants employaient souvent au noir pour ce petit boulot des gens de la rue pour ne pas employer le mot clochard. Bon, c’est vrai, c’étaient toujours les mêmes et ils inspiraient toujours à la foule une sympathie bienveillante par leurs pitreries et leur harangue de titi parisien.

Certains étaient vêtus d’un uniforme rouge à brandebourgs et casquette vissée sur la tête. Un Monsieur Loyal comme au cirque.

Ils avaient un point commun. Ils étaient sérieusement portés sur la bouteille.

Le samedi, en début d’après-midi la distribution de tracts publicitaires avec gouaille bon enfant faisait vite place vers 19 heures à une chancelante opération de survie mise sans cesse en péril par les bousculades de la foule. Les jours de grand vent n’en parlons pas, la bise s’engouffrant dans leur panneau situé deux mètres plus haut les transformait en matraques géantes. Un tourbillon et 10 personnes au tapis !

Ce jour là nous faisions du shopping avec ma mère et ma tante pour me trouver des vêtements. Les boutiques de fringues en soldes étaient nombreuses sur l’avenue et la balade ne m’enchantait guère. Pendant que ces dames léchaient les vitrines, je m’intéressais pour rompre l’ennui aux déballages sauvages des vendeurs à la sauvette. Face à l’entrée de Félix Potin, deux gus vantaient l’élasticité phénoménale de leurs sandows en jouant à Tire-gagne avec les plus longs. Il est vrai que s’ils proposaient différentes tailles dans leur parapluie retourné, ceux pour fixer les bâches de camions étaient étonnements élastiques. Ils jouaient ainsi avec les badauds qui les contournaient non sans mal.

J’aperçois près du kiosque à journaux un de ces élastiques qui traînait par terre. Je ne sais pas pourquoi mais alors que passait justement un homme-sandwich déjà bien atteint, qui avait fort à faire pour se  faufiler parmi la foule, j’ai l’idée lumineuse de le relier à la presse écrite . Un crochet dans le dos relié à son harnais, l’autre au porte-journaux. 3 secondes ont suffi.

La tension devient vite palpable si j’ose dire, enfin celle de l’élastique. Les passants voyant le phénomène s’amplifier commencent prudemment à s’écarter et s’arrêtent pour voir ce qui va se passer. Le sandow finit à un moment à être tendu comme la corde d’une harpe, entretenu par la volonté farouche du virtuose de la pub ambulante de se pencher en avant pour progresser. Tout le monde s’attend à la rupture et commence à se marrer quand soudain un objet volant parfaitement identifié passe en sifflant au dessus de nos têtes. C’est le présentoir à journaux tout entier qui joue les filles de l’air avec distribution à la volée de tous les canards, gazettes et illustrés qu’il contient.

Notre tracteur enfin libéré, c’est tête baissée qu’il pourfend la foule, étendard en avant pour échouer sur le vendeur de marrons voisin. Des marrons, il a manqué de peu d’en récolter des tonnes. Il n’était pas content le marronnier, le marchand de journaux non plus et l’haleine du cuirassé de la brigade légère ne disait rien de bon à ses interlocuteurs. Je n’ai jamais su comment l’histoire s’est finie. Ma mère et ma tante, enfin déconnectées de leur vitrine par le brouhaha de la dispute, se retournent, me voient au milieu de la mêlée, m’agrippent les mains et m’embarquent  hors de portée de l’attroupement.

Et ma mère de déclamer :

- Encore une bagarre d’ivrognes, on ne peut même plus faire ses courses  tranquillement. Quelle bande de sauvages, ça va, t’as pas eu peur mon ptit chou? -


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