Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Betdenrire

L'orage

8 Octobre 2021, 17:38pm

Publié par Philippe Lepers

31 octobre 1958 au soir, une veille de Toussaint. À l’époque  une date ordinaire pour un Français, mais oh combien empreinte de mysticisme pour un anglo-saxon. Halloween, cette fête où l'on peut croiser des zombies, des vampires et autres déguisements effrayants, n’a pas encore conquis les petits Français et encore moins leurs ainés. Quelques initiés toutefois ont eu vent de cette délicieuse peur que ressentent les habitants d’outre-Atlantique à cette date symbolique. Un copain de mon père était de ceux-là. D’ailleurs, son mysticisme était à son apogée quand il se faisait tirer les cartes par ma cartomancienne de Grand-mère. Il gobait tout ce qu’elle lui prédisait. Un bon client ce brave homme. Ce soir là, donc, partant de Cachan, il revient à pied sur Gentilly et se fait surprendre par un orage carabiné. À peine a-t-il passé l’arche de l’aqueduc, qu’une terrible averse accompagnée  d’éclairs lui tombe sur le dos. Le type est complètement trempé et frigorifié. Une bourrasque, et la toile de son parapluie vient de se déchirer. Il n’y voit rien à deux mètres. C’est alors qu’une voiture noire, une vieille Peugeot 601, tous phares éteints, arrive sans bruit à sa hauteur et s’arrête. Sans réfléchir un instant, dégoulinant et mouillé jusqu’aux os, il ouvre la portière et s’affale aussitôt sur le siège passager. Les lunettes complètement embuées, il se retourne pour remercier le conducteur. Personne ! Personne au volant ! La voiture redémarre alors tout doucement. Le type est pétrifié et n’ose bouger. Du côté opposé, la vitre est baissée et laisse entrer des rafales de pluie qui mouillent abondamment le tableau de bord et le siège conducteur. Il doit rêver, il va se réveiller, c’est certain, il est victime d’un cauchemar !  La bagnole cahin-caha va bientôt aborder le premier virage quand soudain, une main décharnée sortie du néant fait tourner le volant pour disparaitre aussitôt ! Maintenant l’orage a décuplé de puissance et le claquement du tonnerre est presque  simultané à la lueur de l’éclair. Claquant de dents, paralysé par la trouille, il est incapable de bouger tant il est tétanisé par la situation. À travers le pare-brise, que nul essuie-glace ne balaie, les lueurs des candélabres se délayent dans celles des fenêtres encore éclairées donnant à la scène un caractère fantasmagorique. La même chose étrange se reproduit à chaque virage. Arrivé à l’entrée de Gentilly, concentrant ses dernières forces, les jambes flageolantes, la peur au ventre, il parvient dans un ultime effort à s’extirper de la voiture et prendre les jambes à son cou. Jamais il n’a couru aussi vite de sa vie. Le café-tabac Le Galia, à l’angle de l’avenue Raspail et de la rue du Paroy est encore ouvert. Il s’y précipite aussitôt les yeux exorbités et, avant même de relater ses aventures au garçon de café, il lui commande trois cognacs qu’il siffle aussi sec. Reprenant enfin son souffle, il raconte  alors en tremblant son étrange odyssée au serveur incrédule et aux rares clients encore présents. Dix minutes plus tard, deux quidams rentrent à leur tour dans le bistrot, encore plus trempés que lui. Après s’être essuyé le visage avec son mouchoir suivi d’un rapide regard circulaire, l’un d’eux apostrophe l’autre : - tient regarde, là-bas au bar, c’est le couillon qui est monté dans la bagnole pendant qu’on la poussait !

 

Commenter cet article