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Betdenrire

Vapeur et Gasoil - Episode 3/10

17 Juillet 2020, 20:44pm

Publié par Philippe Lepers

Vapeur et Gasoil

  Épisode 3/10

 

 

D'une main experte, il commence à dévisser le frein à main et ouvre la vanne qui envoie de la vapeur dans l'éjecteur du frein à vide pour libérer la rame. Après avoir mis la coulisse en position marche avant au dernier cran, il ouvre les purgeurs tout en manœuvrant le régulateur. Alors, après toutes ces manœuvres exécutées avec maestria, le convoi s'ébranle lentement dans un magnifique panache blanc. On entend alors sa respiration haletante rythmée par le tchouf-tchouf cher aux enfants.

Après avoir passé l'aiguille de sortie, le train s'engage dans la rue Philibert Besson (Ancien député sous la troisième élu du département de la Loire qui fut célèbre avant guerre pour ses excentricités et ses démêlés avec la gendarmerie. Il y a même eu une chanson sur lui : Il court, il court, Philibert, sur l'air… du Furet.).

Jojo vérifie si aucune voiture ni aucun piéton ne risquent par imprudence de venir percuter sa machine si bien astiquée. Cela aurait pu l'abîmer et causé du retard à dresser un constat par les gendarmes. Le sifflet, après avoir retenti un long coup au moment du départ s'est tu et a laissé la place à la cloche que Jojo agite avec un certain art pendant toute la durée de la traversée de l'agglomération.

Pendant ce temps, sur la place, l'autocar attend toujours. Maintenant il est 9 heures 16, les voyageurs commencent à ronchonner, mais assez timidement, car la carrure de Tape-dure est un calmant efficace.

Quatre pattes entends bien faire partir son car quand il sera plein se disant, un tiens vaut mieux que deux tu l'aura. Tant pis si des voyageurs doivent monter en cours de route. Le car passera sans s'arrêter et bah! Ils prendront le train.

Le visage de 4 pattes s’illumine. Il vient d’apercevoir un groupe de boy-scouts

Qui se dirige vers la place.

Les scouts, une dizaine environ, débouchent de la rue de l'église et se dirigent vers l'emplacement où le train a l'habitude de stationner.

– Zut ! s'écrie le plus grand, notre train est déjà parti, nous avons trop traîné aujourd'hui pour faire notre B.A. (Leur B.A du jour est de collecter de vieux journaux, qu'ils avaient stockés au patronage pour les revendre au profit des vieux nécessiteux de la paroisse.) !

– Tout n'est pas perdu, réplique un petit rouquin. Aujourd'hui il y a un autocar et il n'est pas parti.

– C'est ça, reprend un autre petit grassouillet. Allons-y !

Nos gaillards se présentent à la portière et commencent à monter.

La Fouine les interpelle :

– Hep, pas si vite les gosses ! Il ne reste plus que cinq places. Stop ! Maintenant c'est complet.

 

 

Le chef de la patrouille, qui est premier en math, en déduit immédiatement que six d’entre eux sont de trop. Comme tout chef scout, plein de ressources, il sait prendre ses responsabilités et met ses mains en porte-voix :

– Que ceux qui ont des vélos aillent les chercher, les autres prendront le car. On se retrouve au marché aux poissons !

 

Le véhicule est enfin plein, Quatre-pattes donne aussitôt l'ordre de départ.

Tous ces braves gens sont bien serrés dans ce véhicule et, en plus, cela sent le gasoil, mais comme le voyage va être de courte durée, on peut bien, pour un temps, endurer ces nuisances pour aller voir la Grande bleue.

Après avoir passé toute la gamme des vitesses le car est maintenant en rase campagne et file à bonne allure vers la côte.

Que fait notre petit train pendant ce temps? Et bien! Comme tout train qui se respecte, il va son petit bonhomme de chemin, mais, de bon train, se payant le luxe de suivre consciencieusement les rails et poussant le comble jusqu'à les compter ! En effet, chaque toc au passage d’éclisse, c'est un rail de 8 mètres parcourus.

Dans la cabine, la discussion est animée.

– Tu parles d'une bande de salopards ! s’exclame Jojo. Avec leur saleté de car, ils vont nous faire du tort. En tant normal, nous avons déjà du mal à tenir le coup. Cette fois-ci, on va droit à la faillite !

– Y sont tous des vaquas et les vaquas finissent toutes par aller à l'abattoir. Yo va prier la Madonne. Il né mé réfouse nada à mio. Yo loui démandé dé faire tomber leur sagrado debido en panne !

– Au fait, mon vieux Ringard, nous n'avons plus beaucoup de charbon.

– Yo sais, mé y'en a touzours assez pour aller jousqu'à la sortie dé Trouillac, où nous z'avons not ouagone dé carbone (Ce « ouagon », comme dit Ringard, est garé sur l'embranchement des grottes.). Nous devons aussi faire dé l'agua !

– En parlant d'eau, actionne donc un peu le Giffard (Appareil, inventé par le français Giffard, pour injecter de l'eau sous pression dans les chaudières. Il remplacer les pompes en plus simples.). Nous ferons du gaz plus loin (Gaz = Vapeur en langage de tractionnaires.).

Après le pont de la Pissette, le manomètre marque encore 7 kilos, c'est largement suffisant sur terrain plat avec peu de wagons et de surcroît vide de voyageurs.

– Si nous né faizone rien, nous sommes foutous!

– Ne t'en fait pas Ringard, rira bien qui rira le dernier, je n'ai pas l'intention de nous laisser faire.

– Yo vé prier la Madone, elle né mé rifouzera pas oune terrible vengeance !

– Moi, je préfère m'éclaircir les idées. Passe-moi donc la cafetière.

Au mot cafetière, Tacot, le cabot, mascotte de la compagnie, se met à faire le beau et à aboyer.

– Donne-lui tout de même un sucre, ce n’est pas ça qui augmentera le déficit au point ou nous en sommes. Il ne faut pas lésiner sur les moyens, une mascotte, ça se paye.

 

 

Pendant que Jojo déguste son café, Tacot son sucre et que Ringard se recueille, revenons au car.

Tape-dur est content de lui. Il chante. La route est dégagée, le soleil est de la partie et le moteur tourne rond. Le car file à 70 km/heure. Les voyageurs sont bien un peu chahutés sur cette route étroite, mais qu'importe, ça va vite et c'est le principal.

Le premier virage est pris sur les chapeaux de roue, mais personne n'ose protester. Ensuite, c'est le passage du dos d'âne sur le petit pont qui franchit l'ancienne ligne. Les voyageurs font un bond sur leur siège, alors le notaire essaye d’émettre une protestation :

– Vous pourriez peut-être rouler un peu moins vite, nous ne sommes pas à quelques minutes près, un accident est si vite arrivé.

 

 

N'ayez crainte, notre chauffeur est un as du volant, vous ne risquez rien, nous arriverons bientôt sans encombre ! Tente de relativiser La Fouine.

À cet instant le chauffeur distrait donne un coup de volant pour éviter une 2CV puis s’engage sur le pont qui franchit le Karaphon. Cette fois le dos d’Âne est franchi à plus de 80 kms/h ce qui occasionne une volée de mécontentement parmi les voyageurs. Un peu plus loin la route et la voie tournent à gauche laissant sur la droite la bifurcation vers la D111 (C’est là que s’embranchait, à la Belle Époque, la ligne qui menait à Saint Pathy /Seine, tronçon maintenant inexploité, mais non déféré. La première partie, encore en service, c’est l’antenne qui dessert le dépôt de Konphithur où est garé et entretenu le matériel des T.S.F.) . Nous arrivons dans le secteur où la D22 fait un angle droit alors que la voie, elle, y décrit une jolie courbe pour ensuite de nouveau longer la route.

À cet emplacement, un arrêt facultatif, sous forme d’un abri couvert de chaume, permet éventuellement aux habitants de Cerfeuil de monter dans le train. Ce dernier vient juste d’y passer à allure constante et modérée. Il est dans la ligne droite au moment où le car le double. La Fouine ne manque pas, au passage, de faire un bras d’honneur aux deux amis qui le lui rendent bien. À peine avoir dépassé le train de 100 m que l’on entend un bruit bizarre en provenance du moteur. Après quelques hoquets et soubresauts, le car s'immobilise quelques mètres plus loin.

– Zut, c'est la panne ! s'écrie Tape-dur.

Il quitte son siège, muni de son inséparable marteau, et descend pour voir ce qui se passe.

– Restez à vos places ! Ce n’est rien, annonce La Fouine. Mon collègue va vous arranger ça en deux coups de cuillère à pot. C’est un spécialiste des moteurs. Patientez quelques instants et nous repartons aussitôt !

Le notaire, qui est descendu, s'approche du train tout en sortant son magnifique oignon de la poche de son gilet.

–Cela fait exactement 3 minutes et trente secondes que nous sommes en panne et vu le nombre de pièces que notre chauffeur ausculte, je crains que nous n'en ayons pour plus longtemps.

 

 

– Moi, j’ai compris, je vais prendre le train comme d'habitude. Il n'est jamais en panne lui. Il va peut-être moins vite, mais c'est plus sûr et moins dangereux. Clame l’officier retraité quelque peu agacé.

– Rien ne sert de courir, il faut partir à point, renchérit le notaire qui voulait faire de l’humour de notaire.

 

Fin de l’épisode 3/10

 

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