Recettes Suites

FRITURE SUR TOUTE LA LIGNE

La seconde fois, en 62, chez les chtis, notre famille du Pas-de-Calais. Mon père propose de préparer des amuses- gueules pour l’apéritif.

Je sais ce que vont penser les lecteurs:

- Mais c’est pas possible, qu’est-ce qu’ils picolent dans cette famille !

-Rassurez vous, uniquement dans les situations exceptionnelles. et chez nous tous les jours étaient exceptionnels.

Donc, mon père, féru d’expériences culinaires, avait mis au point des recettes assez sympa dont cette dernière:

Il mélangeait du fromage blanc de chèvre, de la farine et d’autres trucs qu’il gardait secrets pour obtenir des boulettes qu’il trempait dans la friture et obtenait ainsi des biscuits à apéritif tout-à-fait délicieux.

Ce dimanche, des amis du coron voisin étaient venu nous rejoindre et la conversation allait bon train sous la tonnelle où l’apéritif allait être servi.

Pour ne pas être pris de cours, au lieu de la faire juste avant la friture, le père avait préparé dans la matinée sa recette habituelle et, pour la perfectionner, avait rajouté de la bière pour faire lever la pate. Au bout d’une heure, voyant qu’elle était toujours à son état initial, il décide d’y adjoindre de la levure du boulanger. Il voulait certainement la rendre plus aérée.

Retriturage et mis au repos des petits tronçons.

Ma tante était fière de sa nouvelle cuisine. Ils avaient refait le plafond et le papier peint tout beau avec ses motifs en relief lui donnait fière allure.

Les tomettes, au sol, avaient été vitrifiées, les peintures refaites, tout était nickel. Pas pour longtemps.

La friture était chaude à point. Une cour d’admirateurs entourait le maitre, Faut dire qu’il avait tellement vanté ses amuses-gueules que tout le monde avait rappliqué dans la cuisine pour assister à l’immersion des beignets. Corsage en organdi, pantalons de flanelle, jupe Vichy, tout le monde était endimanché comme pour l’office et s’était agglutiné autour de la gazinière flambante neuve.

Avec mon père tout se passait très vite…un peu trop vite.

D’un geste solennel il prend l’ assiette contenant les petits boudins de pâte et verse la moitié de son contenu dans l’huile fumante.

Au début, la cuisson ressemble trait pour trait à celle des frites et ici dans le Pas-de-Calais, les frites on connait. Pas d’inquiétude donc.

Au bout de 30 secondes les petits boudins qui commencent à dorer, commencent également à gonfler… et gonfler de plus en plus.

-Oh, comme c’est beau, vraiment, Floris , vous faite des merveilles!-

Pas peu fier, mon père, étonné de la réaction de la pâte bombe le torse et d’un geste faussement blasé commence a retourner ses protégés avec l’écumoire.

Soudain, comme pris d’un violent excès de croissance, ils doublent brutalement de volume et explosent littéralement en projetant de l’huile dans toutes les directions!

Panique dans la cuisine. Tout le monde se sauve comme il peut, assaisonné à l’huile de graisse de cheval!

Ma cousine a un beignet qui a atterri dans les cheveux, une magnifique choucroute à la mode BB et elle gueule à la mort que sa permanente va sentir le rance, le chien se met à bouffer tout ce qui tombe par terre et, surement traumatisé, lève la patte sur la huche à pain tout en mâchant ces croquettes improvisées, ma tante se protège la tête avec la serpillière.

Mon père a la présence d’esprit, malgré les projections, de retirer le panier de la friture et de s’élancer dehors avec les beignets qui continuaient de sauter dans toutes les directions finissant de huiler les invités encore intacts!

Une fois refroidis, les beignets et les convives avaient une drôle de tronche. Dorés pour les uns, bronzés pour les autres, il était temps qu’ils fassent connaissance devant un apéritif réconciliateur bienvenu.

Bon, d’accord la cuisine était à refaire mais tout compte fait tout le monde était d’accord pour dire que le papier peint n’était pas aussi joli que ça et que cette mésaventure était le déclencheur pour en poser un autre…lavable cette fois.