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Betdenrire

Le pistonné - 3/3

21 Novembre 2010, 18:08pm

Publié par Philippe Lepers

Suite de l’épisode 2

 

Les jours d’alertes on prenait son quart, 6 heures à glander, pistolet-mitrailleur en bandoulière, dans une guérite en plein vent située en bout de piste, au niveau des abris enterrés des mirages 4A ou à l’entrée de l’enceinte DAMS. L’hiver 1970 avait été particulièrement glacial. On se tapait du - 20° la nuit. Pour essayer de piquer un somme entre deux passages de patrouille, attitude irresponsable et décadente, je l’avoue, on glissait une planche de bois en travers des membrures internes de la guérite. Cela nous faisait un siège et en se callant l’épaule dans un angle du fond, on pouvait roupiller une bonne heure. Si on se faisait piquer, c’était 8 jours au mitard !

Un autre problème venait des pieds qui, se trouvant dans le vide, commençaient à geler sérieusement. On se passait, entre sentinelles, un réveil-matin, bien pratique pour se réveiller à intervalles réguliers et amorcer une danse du scalp pour les dégourdir ! S’il y avait eut là un observateur étranger, il se serait persuadé qu’il avait affaire à un asile de fous et non une base aérienne stratégique.

Pour passer le temps, écouter la radio était strictement interdit, j’avais commencé à sculpter au couteau une fille à poil dans un des montants verticaux de la guérite. Les copains m’encourageaient, j’utilisais alors mon matos de sculpteur qui me servait à fabriquer, à mes heures perdues, une maquette d avion télécommandé. Au fur et à mesure des jours…et des nuits les montants de la guérite se transformèrent en totem ou les personnages relevaient plus de la partouze verticale que des symboles Sioux ou Cheyenne. Je prenais grands soins à chaque fois de ramasser les moindres copeaux pour ne pas laisser d’indice après mon passage et tomber sous le coup d’atteinte aux bonnes mœurs et lubricité avancée.

Evidemment, lors d’une inspection fortuite, un lieutenant-colonel, qui faisait visiter la base à un groupe de L’ALAT (aviation légère de l’armée de terre) dont une paire d’officiers féminins,  se crut inspiré de faire stopper les jeeps juste au niveau de la foutue guérite pour laisser passer un Lockheed T33 qui virait sur le taxiway et surtout remonter les bretelles de la sentinelle qui avait oublié de le saluer.

Les deux filles descendirent avec lui  sûrement pour se marrer au détriment du pauvre bougre. A la vue des mes sculptures inspirées du Kama-Soutra, elles se marrèrent en faisant remarquer à leur accompagnateur l’originalité des constructions en bois de la région. La sentinelle, qui ne voulait pas en plus de son impolitesse se choper un rapport carabiné, fut bien dans l’obligation de me dénoncer pour ne pas prendre les arrêts à ma place.

Le capitaine me fit entrer dans son bureau. Après les salutations d’usage, il me fit mettre au repos. « Caporal, nous avons quelques points à éclaircir tous les deux. Il m’est venu aux oreilles et je l’ai constaté de visu, que vous avez un certain talent pour les arts plastiques et qu’une de nos guérites en a fait dernièrement les frais. Nous connaissions déjà vos dons de tatoueur. On m’a rapporté qu’à Courbessac 2 où 3 de vos camarades ont du recevoir des soins antibiotiques à la suite de vos pratiques douteuses en méthode d’asepsies, mais ce que nous ignorions, c’est que vous croquiez vos supérieurs d’une manière éhontée indigne d’un soldat français. Je vois d’après les dessins qui se trouvent là, devant moi, que votre adjudant-chef passe pour un sombre crétin doublé d’un obsédé sexuel de tout premier ordre. Il en est de même pour votre sous-lieutenant représenté en homosexuel notoire. Je ne vais pas faire une liste exhaustive de tout vos croquis mais il y a là un pamphlet intolérable que je ne peux laisser passer. En conséquence de cause, je ne vais pas vous sanctionner de la manière habituelle que vous connaissez trop bien. Je vais vous commander des dessins et calicots pour agrémenter la journée portes ouvertes que nous organisons chaque année. Avez-vous des remarques à formuler ? »

Surpris par un tel compliment indirect, je me permets de lui rétorquer, avec sa permission, que pour l’affaire de la guérite, j’avais trouvée cette méthode pour lutter contre le sommeil. A l’instar, d’ailleurs de nos aînés les poilus de 14-18 qui repoussaient et gravaient les douilles d’obus de 75, les transformant en vases,  bougeoirs ou coupe-papiers.

Pour ce qui est des tatouages, je lui expliquais qu’un collègue m’y avait initié ainsi qu’à la fabrication des aiguilles et comme il était piètre dessinateur, m’avait demandé de les faire à sa place. Ce n’est tout de même pas ma faute si certains ont manqué totalement d’hygiène, en ne renouvelant pas leurs pansements et souillés leurs tatouages. Pour chaque patient, je chauffais, pour les stériliser, les aiguilles à la flamme du briquet  et j’utilisais de l’encre de chine en bouteille. Les aiguilles, s’étaient des aiguilles à coudre très fines, elles étaient liées entres-elles par du fil de cuivre récupéré sur un vieux transfo. En les assemblant par trois je disposais d’un réservoir qui maintenait par capillarité suffisamment d’encre pour piquer la peau sur une distance de plusieurs millimètres. La garde, représentée par l’enroulement bien serré du fil de cuivre, évitait que je pénètre plus profondément en maintenant la zone à traiter juste entre le derme et l’épiderme. La difficulté provenait de la variabilité de cette zone selon les parties du corps, de 1 à 4 mm.

Le capitaine était tout ouïe et se grattait machinalement l’avant bras. Je suis sûr que sa manche de chemise dissimulait un tatouage exécuté par un confrère ignorant les méthodes d’asepsies modernes !

Le dessin les plus demandé était le sigle des commandos de l’air suivi par des prénoms féminins accompagnés d’un « pour la vie » à la fois touchant et naïf. Beaucoup de parachutes ceinturés de dragons crachant des flammes. Avec le collègue, nous en avons bien tatoué une douzaine et pas forcément dans les rangs des commandos. Les rampants étaient également demandeurs. Cela nous procurait un petit pécule qui pour moi, s’additionnait aux ventes de mes cartouches de cigarettes, étant fumiste mais non fumeur, cela améliorait pas mal l’ordinaire et permettait, quand je sortais en boite, de payer une conso aux copines sans avoir à quémander des sous à la famille. Un pote m’avait ramené de permission des encres pigmentées spéciale- tatouages. En passant à la couleur, on augmentait nos tarifs et on pouvait inviter plusieurs copines à la fois !

Vous allez nous dessiner des calicots d’informations destinés  au public et que cela soit marrant mais non vulgaire. Je compte sur vous caporal… et pas d’entourloupe !

Je dessinais donc plusieurs croquis, mettant en cause les commandos dans des situations cocasses ou les groupies étaient légions et passablement hystériques, ce qui flattait l’ego des super males de la base.

Je déléguais aux copains la réalisation des copies sur des banderoles taillées dans des draps de lit.

La journée ‘Portes ouvertes’ fut une réussite. Au stand Barbecue, un semblant de post-combustion avait littéralement carbonisé les pauvres merguez et le rosé aidant, en coulant à flot, avait fini de convaincre les visiteurs que l’armée française était la championne de la convivialité toute catégorie.

Le pitaine finit par m’avoir à la bonne. Il continuait de son coté à s’adonner aux joies du parachutisme et faisait parti du para-club d’Azelot situé aux environs de Nancy. Je n’ai jamais su comment il se démerdait, mais il nous proposa avec un autre copain, toujours aussi fauchés que moi, de le suivre si cela nous intéressait. Rien à débourser contrairement aux civils qui eux payaient bonbons le stage d’un week-end de sauts ! Cerise sur le gâteau, il nous emmenait avec lui et…ses deux filles, passionnées autant que leur père pour le parachutisme. Etre dans une voiture entres deux nanas qui rêvent de s’envoyer en l’air. C’est t’y pas beau l’armée ? Les hommes dormaient dans la salle de pliage sur des lits de camps et les femmes avaient droit à une chambrée d’une douzaine de lits.

L’avion principal était un vieux « Dragon rapide » De Havilland, un biplan bimoteur de transport passager des années 30 qui avait été aménagé pour le saut.

L’avantage de cet avion était qu’il pouvait emporter une bonne dizaine de personnes et sa structure de biplan permettait au novice, en marchant sur l’aile inférieure jusqu’au capot moteur gauche et en se tenant au hauban, de sauter parfaitement parallèle à l’avion. Cela  aidait le corps à rester symétrique et facilitait l’apprentissage à la chute libre. Lorsque l’on chute, normalement, la vitesse peut aller de 210 à 250Km/h selon la position du corps. Les extrêmes pouvant aller de 130 à 500Km/h pour des combinaisons prototypes et en fonction des couches atmosphériques traversées. La moindre asymétrie provoque vrilles, pivots ou rotations qui, si elles ne sont pas stabilisées avant l’ouverture, risquent de poser de graves problèmes. L’extracteur, qui n’est plus une SOA mais un petit parachute muni d’un ressort comme le diable dans la boite de moutarde, peut, si le type est en vrille, passé entre les jambes, suivit par les élévateurs et suspentes n’attendant, comme un fil de pêche, qu’à s’emmêler entres-elles. Au mieux, c’est un saucisson sous un grand sac à patates qui vient embrasser le sol, au pire, c’est poussez-vous en bas j’vais faire un malheur ! Situation qui est totalement à proscrire à moins de vouloir en finir spectaculairement.

Super, cette fois, fini les vieux TAP 650, Nous avons droit à des voiles hémisphériques à une fente arrière et poignées de manœuvre d’une belle couleur vert olive. Là nous pouvions enfin goutter aux joies de la précision d’atterrissage ! Les as, eux, étaient équipés d’Olympiques et touchaient le carreau (la cible) une fois sur deux. Il en aurait fallut des week-ends pour rivaliser avec ces pointures.

De retour au bercail, souvent les filles du capitaine organisaient des surprises-parties où jeunes civils et militaires sympathisaient en trinquant avec des verres de limonades sous les airs d’Elvis Presley distillés par le vieux phono de leur paternel. Une cure de désintoxication en somme.

« Qui veut faire partie d’un groupe détaché à Vatry près de Sommesous pour occuper la base laissée par les amerlocs ! » Notre lieutenant essayait de recruter des gus pour garder la base abandonnée par l’oncle Sam. De Gaulle avait virer l’OTAN du territoire et il fallait prendre rapidement possession de leurs terrains d’aviations.

Ayant fait le tour de la base de Saint-Dizier, un changement n’était pas pour me déplaire. Nous voilà donc une demi-douzaine de Commandos à être mutée en pleine cambrousse. Avec un juteux-chef et sa petite famille au poste de garde, un cuistot, un gus aux réserves de carburant, un autre responsable de piste et quelques mécanos, nous étions vraiment un concentré minimaliste de l’armée française.

Dès notre arrivée, le chef nous fait faire en jeep la visite de la base. Des bâtiments américains demi-lunes en tôle ondulée, éparpillés le long du tarmac, un mirador, une piste ciment, un taxiway et deux ou trois hangars de plus grande facture, résument les lieux.

« Il y a un endroit que je tiens à vous montrer qui peut vous faire gagner quelques petites perms d’une journée ! »

Il nous amène alors sur une trouée béante qui saigne la forêt sur plus de 1500 mètres. Là, des milliers d’arbres, sur une largeur de 60 mètres, sont couchés, comme renversés par un cyclone. Le juteux nous explique que les Américains avaient commencé ce déboisement en vue de construire une seconde piste et les bulldozers avaient interrompu leurs destructions massives quand ils se sont fait virer. Nous ne voyons pas, de prime abord, où il veut en venir et à quoi ce lieu peut nous faire bénéficier de ses largesses quand il stoppe juste au pied de la souche d’un énorme pin sylvestre abattu.

«  Voilà le deal les gars ! »

On ne comprend rien. Il veut quoi ? Qu’on le scie en rondelles !

Mon regard se pose sur l’énorme entonnoir de terre laissé par l’arrachage de la souche. Incroyable, des dizaines de morilles sont plantées là, bien fraîches et bien dodues. Mon regard se pose sur le trou voisin. Idem. Des morilles à perte de vue. Je ne sais pas s’il y en a comme ça sur toute la superficie du terrain, mais

Il y a de quoi faire des milliers de poulets et d’escalopes à la crème !

« Vous me ramasser des morilles et vous pourrez bénéficier d’une perm. C’est équitable non ? »

Tu parles si c’est équitable ! Dès le lendemain nous lui en rapportons des cagettes entières. Une bonne trentaine de kilos !

Au mess, nous apprenons alors de la bouche du cuistot que la femme du juteux ne perds pas sa matinée dans le potager qui jouxte le poste de garde mais qu’elle fréquente assidûment depuis quelques jours les marchés du pays pour vendre ses champignons ! Connaissant bien ces délicieux parasites et la méthode de conservation des morilles, je décide de prospecter pour ma pomme.

Adieu permission et vive le fil à coudre ! En ce début mai, de nombreuses chambrées étaient inoccupées mais toujours chauffées. Avec les copains qui avaient le même sentiment de s’être fait avoir, nous décidons d’enfiler sur du fil à coudre nos cueillettes respectives et de les suspendre au travers des pièces. Au bout d’une semaine, tous les bâtiments sentaient la morille. Le séchage effectué, les champignons avaient perdu 95°/° de leur poids. Lors d’une perm, prévue de longue date celle-là, je revenais de Gentilly avec une valise remplie de boites Tupperware qui furent à peine suffisantes pour charger mon trésor. Chez mes parents, nous en avons profité ainsi pendant plus de 3 ans !

Le mois de mai fut pluvieux et la chasse aux escargots nous donna une pentagruélique satisfaction culinaire. Copains avec le cuistot, celui-ci nous refila une motte de beurre, ails et persil et libre à nous de préparer les gastropodes pour un festin final qui allait clôturer notre présence à Vatry. La relève était annoncée pour la fin du mois et il fallait faire vite. Pas le temps de les faire jeûner quinze jours, un bon dégorgeage au gros sel de cuisine a suffit pour les amener dans les pattes du cuistot qui s’occupa de la cuisson au cours bouillon. A nous ensuite de les farcir. A plus de trois douzaines par personne, bourgognes et petits gris mélangés, nous nous sommes payé une crise de fois carabinée. En cas de guerre, on aurait sauvé la base. L’ennemi pénétrant dans un lieu où tous les occupants en étaient à gerber sur leurs godasses, le doute sur une épidémie hautement contagieuse les aurait conforté de passer leur chemin !

Retour à Saint-Dizier en cette fin de printemps. Plus de garde de nuit mais des participations à des manœuvres inter-armées au camp de Sissonne et à Mailly-le-camps. Fantassin dans la boue avec des chars qui ne vous voient pas et vous passe à raz des rangers, ce n’est pas l’un des meilleurs souvenirs du cru. La découverte, au détour d’un chemin, d’une ferme qui vendait de la gnôle maison,

fit de notre section la risée du stand de tir à la AK47. Pas moyen de viser juste avec ces cibles doubles qui bougeaient tout le temps !

Les perms locales se multipliaient. Cela sentait la quille.

Notre démobilisation était enfin arrivée. Ce jours-la, nous étions une douzaine à quitter l’armée. Nous avions réservé  dans un resto du coin pour fêter l’événement. L’auberge était tenue par un couple dont le mari était extrêmement jaloux. A sa décharge, son épouse, une belle et plantureuse jeune femme, avait pour seul souci vestimentaire que de porter des minijupes minimalistes. Coquine ou maladroite, elle n’en était pas moins dotée d’une extraordinaire souplesse doublée d’une incroyable maladresse. Elle faisait tout le temps choir fourchettes et couteaux et se penchait sans plier les jambes pour reprendre ses couverts. On voyait ainsi, comme au théâtre, les clients les mieux placés. C’était ceux dont le visage en sueur virait au rouge carmin accompagné de quintes de toux irrépressibles. Tous les symptômes d’un excès d’Harissa chez un convive tuberculeux. Le repas s’avère délicieux et la boisson aidant, un des copains commence à faire du gringe à la patronne. Celle-ci, loin de rabrouer le client, minaude en se penchant sur la table pour mieux mettre en valeur ces atouts qui, aux nombres de deux, vrillent littéralement les mirettes de la tablée.

Derrière son bar notre hôte, armé d’un immense couteau à trancher les conversations, commence à fumer des naseaux comme un taureau bafoué.

On prévient discrètement le copain de laisser tomber. On est suffisamment repu et pas du tout en état de s’engager dans une bagarre générale. Et puis un homme qui fait aussi bien la cuisine ne peut pas être cocu, ce serait scandaleux non ?

Les autres clients, des habitués, nous conseillent également de calmer le jeu. Ils veulent déjeuner en paix et se refusent à être des obstacles à des lancés de couteaux !

En attendant le train, une dernière ballade dans Saint-Dizier.

Dans les vitrines de magasins d’électroménager, les toutes premières télés couleur font leur apparition et à des dizaines de lieues de là, à Colombey-les-deux-églises, le vieux Charles s’est glissé dans les nimbes d’un monde meilleur pour sauver là haut je ne sais quel pays martyrisé.

Une page se tournait. Je rejoignais la vie active. L’année sabbatique était belle et bien terminée. Pour un « pistonné » je m’en tirais pas mal. Sans diplôme hormis le BEPC, je pouvais quand même, à l’époque, trouver facilement du boulot. Je décidai toutefois de bosser dans l’entreprise paternelle pour un temps afin de me payer des cours et devenir pilote d’avion.

Pour un ancien para, je redescendais enfin sur terre et le paternel, à la réception, m’en fit baver alors des sacrés ronds de chapeaux ! Vous avez dit : « Piston ? »

Comme au bon vieux temps du paternalisme à la Zola, il voulu que je commence tout en bas de l’échelle. Encore eût-il fallu qu’il y ait des barreaux.

Tirer des centaines de mètres de gros câbles électriques dans des regards enterrés en plein hiver avec les doigts gelés et déchirés par le ciment. Jouer les acrobates à 30 mètres de hauteur pour fixer les supports du line light de l’aérogare d’Orly Ouest sur des poutrelles verglacées sans harnais et ligne de vie, gratter les flocages d’amiante des plafonds pour y fixer les supports d’affichages passagers aux portes d’embarquements. Idem dans les stations RER de la ligne A nouvellement construite. J’ai rampé pendant des mois, dans la boue, sous les quais, sur des centaines de mètres, à tirer des câbles électriques et vidéos. Bref, Je suis passé par toutes les merdes que nos ouvriers ne pouvaient pas faire vu que la sécurité n’était pas assurée dans ces situations ultimes et que l’inspection du travail nous avait à l’œil. Il fallait faire toujours plus vite.  Le soir après le boulot, j’allais en cours du soir de gestion et dès que j’avais 5 minutes, s’était pour me plonger dans les bouquins de mécanique, d’optique, de résistances des matériaux, de fonderie, d’électricité et d’électronique. Dès un chantier fini, je migrais vers la planche à dessins où je reprenais et finalisais sur calques les ébauches paternelles à grands coups de formules de résistance des matériaux. Mes années lycées, c’était des vacances club- Med à côté du régime de bagnard auquel j’adhérais avec rage. Petit à petit, je trouvais ma place et me suis mis à créer à mon tour et déposer des brevets d’inventions afin de protéger mes réalisations.

Le paternel, lui, était un inventeur permanent. Il n’avait de cesse d’innover dans des domaines aussi variés que la construction de machines à emballer les biscuits, les jeux d’arcades, des dérouleurs d’itinéraires routiers pour motos… des chaudières à air pulsé, des serrures électromécaniques, les chariots enrouleurs de tapis rouge du pavillon d’honneur d’Orly. Il conçu le Mitram, repris quelques années plus tard par Matra-transport. Il créa pour le PCL d’Orly, le tableau synoptique à 24 fuseaux horaires pour localiser tous les avions d’Air-France à un instant T.

Il conçu une alidade de réglage pour les feux des pistes d’atterrissages et de nombreuses autres choses digne d’un inventaire à la Prévert. Il déposait soit des brevets, soit des enveloppes Soleau, ces dernières, moins coûteuses que les dépôts de brevets, permettaient à son dépositaire de prouver l’antériorité de son invention mais libre à quiconque, qui aurait eu la même idée mais après lui, de l’exploiter. L’inventeur ayant évidemment de son coté, tout loisirs à la fabriquer et à la commercialiser. L’invention la plus originale dont j’ai participé à l’étude et à la réalisation fut un discriminateur à vortex venturi pour …fosse à merde ! J’explique : Les attentats aériens ainsi que les détournements devenaient de plus en plus problématiques et un jour, le camion de vidange qui venait de soulager les toilettes d’un Boeing 707 de La Panam, fit son déplacement comme à l’accoutumé vers la fosse du tarmac sud de l’aérogare d’Orly. Là, les matières étaient broyées et traitées dans une centrale d’épuration chimique pour être ensuite renvoyées dans un émissaire qui, lui-même, se déversait dans l’Orge.

Le camion se plaça au dessus de la fosse et vida sa citerne.

L’employé appuya sur le bouton de mise en marche pour lancer le programme d’épuration. Il s’apprêtait à remonter dans son camion quand le témoin de disfonctionnement s’alluma. Les gens de la maintenance descendirent dans le local technique et constatèrent que la pompe principale était bloquée. En la  démontant, ils furent stupéfaits d’y trouver une grenade défensive en parfait état. Les démineurs appelés à la rescousse, récupérèrent l’engin avec d’infinies précautions. Soucieux de ne plus être, dans l’avenir, victimes de blague d’aussi mauvais goût, les autorités nous demandèrent alors d’étudier une solution pour tenter de remédier à ce genre d’incident. Même en bout de piste, une fosse à merde qui explose ternit forcément la gloire de la technologie française !

On se mit donc au travail et après de nombreux essais sur maquette au 1/10, nous présentions enfin notre projet aux autorités compétentes. Un dispositif de mise en tourbillon accéléré par un phénomène venturi permettait, en utilisant la force centrifuge à discriminer les particules solides des matières organiques et les récolter dans un panier extractible en surface sans intervention humaine. La présence d’une éventuelle grenade ou quelconque pain d’explosif pouvait être visualisée par vidéo interposée sans mettre en danger les employés.

Notre projet accepté, nous le réalisons aussitôt grandeur nature et, fort heureusement, il fonctionna à merveille.

Depuis tant d’années, j’ignore si notre système est toujours en place mais ce que je suis sûr c’est qu’à l’époque, tous les employés des pompes à merde de l’aérogare se battaient pour être présent à la sortie du panier. En effet, le système fonctionnait si bien que la discrimination s’appliquait aussi pour des objets minuscules. On y trouvait : des montres, des boucles d’oreilles, des bagues, et pas de la pacotille. Passée à l’eau claire, une Cartier avait toutes les chances de rester au poigné de son découvreur plutôt que d’être restitué à son légitime propriétaire. Et puis il faut bien l’avouer, pour un chauffeur de pompe à merde, quoi que de plus valorisant que de ramener le soir, à sa belle, une magnifique bague ornée d’un solitaire de 3 carats s’en passer par la case bijouterie !

A part un appareil à tracer des parts de gâteau, je suis gourmand, mes inventions ont plutôt été ciblées sur le matériel  lié aux chemins de fer, aux matériels aéroportuaire,au mobilier urbain, à l’antivandalisme dans le domaine de la vidéosurveillance, du contrôle d’accès et en atmosphères hautement polluées, radioactives ou sous très hautes températures.

Pas très rigolo tout ça, me diriez-vous. Et oui, j’ai le grand défaut d’être très sérieux dans le boulot, Chiant, diraient même certains. On est loin des blagues de potache de ma jeunesse.  Et bien pour clore ce chapitre sur les inventions de tous poils, comme vous avez été sages et persévérants, je vais vous dévoiler une invention classée Secret Défense que très peu d’individus dans le monde connaissent. Au risque de m’attirer les foudres de mes paires, je vous confis l’extraordinaire invention de Pierre Arnaud de Chassipoulet :

J’ai nommé : Le mouvement perpétuel.

Voici la solution qu’il propose pour résoudre ce problème. 

Prendre une feuille de papier quelconque, écrire au recto la phrase : « J’ai inventé le mouvement perpétuel » suivie de la mention « TSVP » ; écrire la même phrase et la même mention au verso.

On obtient ainsi un mouvement perpétuel qui ne peut être interrompu que par la lassitude de l’expérimentateur ou son décès. Marrant non ?

 

Fin du pistonné.

 

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